Data

Date:
12-04-2011
Country:
Canada
Number:
200-09-007265-116
Court:
Court d'appel de Quebec
Parties:
Mazzetta Company, l.l.c. v. Dégust-Mer Inc.

Keywords

JURISDICTION - JURISDICTION OF COURT FOR PLACE OF PAYMENT (ART. 57)

Abstract

A US company bought frozen lobster from a Canadian seller. As the price remained unpaid, the seller sued the buyer before a Canadian Court of first instance. The buyer contested the Canadian Court's jurisdiction over the case but its claim was rejected; then it appealed the decision.

The Appellate Court affirmed its jurisdiction over the case. In order to reach such a conclusion, the Court applied CISG, which governed the contract according to its Art. 1(1)(a), to determine the place of performance of the obligation in dispute (i.e. payment of price). By referring to Art. 8 CISG, the Court found that it was an established practice between the parties for payment to be made by the seller in Quebec (namely, in Gaspesie). Moreover, the Court noted that no place of payment had been established by the parties in accordance with Art. 57 CISG, except the buyer's practice, perfectly known to the seller, of paying the price in Gaspesie. Therefore, its jurisdiction had to be affirmed.

Fulltext

ARRÊT

[1] L’Appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 10 décembre 2010 par la Cour supérieure, district de Gaspé (l'honorable Jean-Roch Landry) qui a rejeté la demande en exception déclinatoire de l’Appelante concernant l’absence de compétence des tribunaux québécois.

[2] Pour les motifs du juge Vézina auxquels souscrivent les juges Thibault et Duval Hesler :

[3] REJETTE l’appel sans frais.

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

PAUL VÉZINA, J.C.A.
NICOLE DUVAL HESLER, J.C.A.

Me Dominique Vallières et
Me Jean-Yves Simard
Lavery, de Billy
Pour l'appelante

Me Daniel Dumais
Heenan, Blaikie
Pour l'intimée

Date d’audience :
23 mars 2011

MOTIFS DU JUGE VÉZINA

[4] L'Appelante est une entreprise américaine sans établissement au Québec. L'Intimée exploite une usine de transformation de produits de la mer en Gaspésie.

[5] En 2008 l'Intimée vend à l 'Appelante du homard congelé et le lui livre aux États-Unis, tel que convenu.

[6] Impayée, l'Intimée poursuit l'Appelante au Québec. Celle-ci conteste la compétence du tribunal québécois sur ce litige international. Le jugement attaqué rejette sa contestation, d'où l'appel.

[7] Tous conviennent que la question doit être tranchée selon la règle du Code civil du Québec, au titre « De la compétence internationale des autorités du Québec », à la section « Des actions personnelles à caractère patrimonial », énoncée à l'article suivant :

Art. 3148 Dans les actions personnelles à caractère patrimonial, les autorités québécoises sont compétentes dans les cas suivants:

1° Le défendeur a son domicile ou sa résidence au Québec;

2° Le défendeur est une personne morale qui n'est pas domiciliée au Québec mais y a un établissement et la contestation est relative à son activité au Québec;

3° Une faute a été commise au Québec, un préjudice y a été subi, un fait dommageable s'y est produit ou l'une des obligations découlant d'un contrat devait y être exécutée; (soulignement ajouté)

4° Les parties, par convention, leur ont soumis les litiges nés ou à naître entre elles à l'occasion d'un rapport de droit déterminé;

5° Le défendeur a reconnu leur compétence.

Cependant, les autorités québécoises ne sont pas compétentes lorsque les parties ont choisi, par convention, de soumettre les litiges nés ou à naître entre elles, à propos d'un rapport juridique déterminé, à une autorité étrangère ou à un arbitre, à moins que le défendeur n'ait reconnu la compétence des autorités québécoises.

[8] Plus précisément, la question est de déterminer si l'une des obligations découlant du contrat devait être exécutée au Québec. C'est le seul point de rattachement qui puisse fonder la compétence des autorités québécoises dans cette affaire.

[9] Ce qui nous amène à l'analyse du contrat pour déterminer les obligations respectives des parties et le lieu de leur exécution.

[10] Par un réflexe civiliste bien compréhensible, les parties ont procédé à cette analyse en fonction du Code civil. Aussi l'Appelante soutient-elle que, les dettes étant quérables et non portables[1], le paiement devait se faire aux États-Unis, et ce, même si lors des quelques ventes antérieures, le paiement par l'Appelante avait été fait en Gaspésie.

[11] L'analyse est valable selon le Code civil. Mais les parties ont oublié une question préalable : le Code civil s'applique-t-il à ce contrat? Et de façon plus générale, quel est le droit qui régit ce contrat?

[12] Selon le professeur Prujiner[2] cette erreur est fréquente. Il écrit en commentant une autre affaire de vente internationale entre le Québec et les États-Unis :

Pourtant, tout le monde n'applique que le droit québécois à ce contrat sans même s'en expliquer.

[…]
Mais le droit applicable à la formation de ce contrat ne peut, non plus, être d'office le droit québécois.

[13] Et il indique la marche à suivre[3] :

Il était nécessaire en fait de commencer par vérifier le résultat de l'application du droit international privé québécois à ce contrat, car un juge québécois doit l'utiliser pour déterminer le droit applicable dans ce cas …

[…]
… il aurait fallu tenir compte du fait que cette vente internationale est intervenue entre deux pays membres de la Convention de Vienne[[4]] et que celle-ci est alors applicable d'office en vertu de son article 1.1 a).

[14] La recette vaut pour notre affaire.

[15] Les États-Unis d'Amérique sont signataires de la Convention de Vienne et elle y est en vigueur depuis 1986[5].

[16] Le Canada y a adhéré en 1992. Le Québec l'a incorporé au droit interne par la Loi concernant la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises [6], en vigueur depuis le 1er mai 1992.

[17] Le premier chapitre de la convention traite de son champ d'application :

Article 1

1) La présente Convention s'applique aux contrats de vente de marchandises entre des parties ayant leur établissement dans des États différents:

a) lorsque ces États sont des États contractants (soulignement ajouté) ; ou

b) lorsque les règles du droit international privé mènent à l'application de la loi d'un État contractant.

2) Il n'est pas tenu compte du fait que les parties ont leur établissement dans des États différents lorsque ce fait ne ressort ni du contrat, ni de transactions antérieures entre les parties, ni de renseignements donnés par elles à un moment quelconque avant la conclusion ou lors de la conclusion du contrat.

3) Ni la nationalité des parties ni le caractère civil ou commercial des parties ou du contrat ne sont pris en considération pour l'application de la présente Convention.

[18] Quid alors du lieu de paiement selon le droit applicable, c'est-à-dire selon la CVIM? Deux dispositions convergent vers le même résultat, la Gaspésie.

[19] Notons d'abord que le contrat est verbal. Le seul écrit est la facture invoquée par l'Intimée où l'on retrouve la description des produits vendus : « Frozen Raw Lobster Tails IQF », de diverses grosseurs et quantités, le « Sale price » et le « Total sales ».

[20] Il s'agit bien d'un contrat de vente, tout comme le confirment les premières allégations de l'action de l'Intimée :

1. La demanderesse a vendu et livré à la défenderesse de la chair de homard congelé tel qu'il appert des factures portant les numéros 3220 et 3240 déposées au soutien des présentes sous la cote P-1;

2. Les biens vendus et livrés ont été reçus par la défenderesse depuis plusieurs mois et celle-ci fait défaut d'en acquitter le prix et ce, sans aucune justification;

[21] La première disposition pertinente de la CVIM est la suivante :

Article 8

1) Aux fins de la présente Convention, les indications et les autres comportements d'une partie doivent être interprétés, selon l'intention de celle-ci lorsque l'autre partie connaissait ou ne pouvait ignorer cette intention.

2) Si le paragraphe précédent n'est pas applicable, les indications et autres comportements d'une partie doivent être interprétés selon le sens qu'une personne raisonnable de même qualité que l'autre partie, placée dans la même situation, leur aurait donné.

3) Pour déterminer l'intention d'une partie ou ce qu'aurait compris une personne raisonnable, il doit être tenu compte des circonstances pertinentes, notamment des négociations qui ont pu avoir lieu entre les parties, des habitudes qui se sont établies entre elles, des usages et de tout comportement ultérieur des parties. (soulignement ajouté)

[22] On peut considérer que s'était établie une « habitude » entre les parties du fait que lors des ventes antérieures le paiement était fait en Gaspésie.

[23] La seconde disposition est la suivante :

Article 57

1) Si l'acheteur n'est pas tenu de payer le prix en un autre lieu particulier, il doit payer le vendeur :

a) À l'établissement de celui-ci (soulignement ajouté); ou

b) Si le paiement doit être fait contre la remise des marchandises ou des documents, au lieu de cette remise.

2) Le vendeur doit supporter toute augmentation des frais accessoires au paiement qui résultent de son changement d'établissement après la conclusion du contrat.

[24] Ici, manifestement le prix n'était pas payable sur livraison et aucun lieu pour le paiement n'avait été fixé par les parties, si ce n'est par le comportement de l'acheteur, à la connaissance évidente du vendeur, qui avait établi une habitude, tel qu'exposé ci-dessus.

[25] Force est de conclure que selon le droit applicable, la CVIM, le paiement devait être fait à l'établissement de l'Intimée, en Gaspésie.

[26] Par voie de conséquence, l'une des obligations de l'acheteur devait être exécutée au Québec (C.c.Q., art. 3148, 3o ). Ce qui confère compétence aux autorités québécoises.

[27] Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel. Sans frais puisque la CVIM n'a pas été invoquée par les parties.}}

Source

Original in French:
. available at the Canadian Legal Information Institute website, http://www.canlii.org/}}